Björk en concert: Noël avant l’heure

Par Maryline DUMOTIER le 20.11.2019

Rive gauche, le festival Sonic Visions, et sa programmation époustouflante. Rive droite, Björk en concert à la Rockhal.

Moi, j’étais du côté rive droite.

Cette soirée fut donc un cadeau : rappelons que le début de la tournée Cornucopia Tour a eu lieu à New York, puis au Mexique, avant de passer enfin en Europe, mais…. Pour 8 dates seulement (principalement réparties dans les pays scandinaves)….Alors,  saluons la team de Den Atelier, les organisateurs de cet événement, qui nous ont permis de vivre l’exceptionnel !

Cadeau aussi parce que, entre nous… Ça n’était pas juste un concert.

Arrivée après un passage par l’entrée des invités (merci Grrrrr !!), direction la salle de concert, évidemment bondée de monde ! Dommage, je rêvais d’un tête à tête avec la chanteuse, manifestement, elle avait prévu d’autres personnes !

Devant nous, un rideau de câbles suspendus verticalement prend toute la longueur de la scène, rideau sur lequel est projeté un visuel onirique reprenant celui que l’on retrouve tout au long de l’album ‘Utopia’, sorti en 2017. La projection est « vivante », et tandis que les 1ères notes retentissent, la voix de l’artiste se fait entendre, aiguisant davantage notre impatience à tous. Enfin, Björk apparaît sur scène, et sa voix si singulière semble inchangée malgré les années, ce qui me colle alors une vague de frissons !

Cornucopia se traduit par « corne d’abondance »… Et ça n’est rien de le dire !

A ce stade, nous comprenons tous que nous venons d’embarquer pour un voyage magique, guidé par la voix cristalline et acidulée de la diva islandaise, mais aussi par tout ce qui l’accompagne.

Photos: Santiago Felipe

Et là,  du grandiose ! C’est l’enchantement visuel qui nous saisit aux tripes tandis qu’une fois ouvert, le rideau nous dévoile une scène au décor incroyable, des musiciens venus sublimer de leurs instruments acoustiques les morceaux parfois à la frontière de l’expérimental  – les flûtistes Viibra et la harpiste Katie Buckley …. Pour ne citer qu’eux – et cette extraordinaire projection de graphismes digitaux durant l’heure et demie de voyage !

Le terme de performance ne me parait pas galvaudé devant cette scénographie merveilleuse  (euh…de ouf oui !!!), et ayant nécessité une organisation technique de pointe, notamment pour réussir à créer des visuels vivants en fusion avec le rythme des morceaux,  et pour assurer un son « surround », nous permettant de l’apprécier où que nous soyons dans la salle.

Explications ici du directeur musical 

C’est dans un monde de féerie, parfois flirtant avec le cosmique, que nous convie Björk. Le végétal et la poésie sont partout : sur la scène avec les costumes crées par la maison Balmain pour l’ensemble des artistes – sorte d’elfes – mais aussi dans le décor avec des références à un monde enchanté, et bien sûr dans les scènes digitales projetées, où la nature est à l’honneur en permanence.

Alors, quand cette projection fait place à un moment de la soirée à celle d’un texte appelant à l’urgence climatique, puis, avant le rappel, à celle du discours de la militante suédoise Greta Thunberg, tout ne fait plus qu’un, et montre combien, derrière une sorte de chaos généré par la multitude des éléments, tout a été travaillé avec une cohérence et une rigueur qui évoquent les contours de la perfection.

Et sinon, côté musique, ça donnait quoi, vous demandez-vous sûrement ??!

Et oui, il faut reconnaître que tous nos sens étant en éveil, tant de choses à voir, à admirer, finiraient presque par placer la musique – pourtant objet principal du déplacement – au 2nd rang ! Mais non !

Si la mise en scène est inspirée de l’univers musical de l’artiste, et vise donc à le sublimer,  le pari n’était pourtant pas gagné d’avance devant autant de technique déployée, et le risque était bien que nos mirettes en prennent plus que nos oreilles. Mais là encore, c’est la subtilité qui offre un mélange à chaque minute équilibré.

La part belle est faite aux morceaux de l’album « Utopia », dont on pourra citer entre autres l’inspirante  «The gate », ou encore «Tabula rasa », sans oublier « Blissing me » et évidemment « Utopia ».

Björk respecte néanmoins la tradition en nous interprétant des morceaux moins récents, et arrangés pour se fondre eux aussi à l’ambiance digitalo-féerique.

« Isobel » (album Post, 1995) fait vibrer les plus anciens fans d’entre nous, dans une version rythmée grâce au percussionniste Manu Delago, maître d’œuvre du rythme sur cette tournée.

D’autres encore, comme « Mouth’s cradle » (album Medùlla, 2004), ou « Pagan poetry » (album Vespertine, 2001), et aussi « Show me forgiveness », trouvent aisément leur place dans des versions à l’esthétique également revue et corrigée.

Et ça ne s’arrête pas là… Une sorte d’atrium en forme de tête de farfadet est installé sur un côté de la scène. Il s’agit en fait d’une chambre réverbérante, qui, outre le son captivant qu’elle produit, nous permet une sorte de connexion totale avec l’artiste, un moment d’intimité pure où plus rien n’existe d’autre que sa voix et ses vibrations.

Björk, c’est un concept à elle seule. Un mélange du doux et de l’amer, de l’esthétique vocal et visuel, un mélange des genres haut de gamme qui ne sombre jamais dans l’abstrait, en dépit des teintes très contemporaines côtoyant pour le meilleur les aspects aussi bien traditionnels que futuristes. C’est de la poésie sous toutes ses formes, qui transcende la brutalité du réel.

Ce « Cornucopia Tour » est un peu comme une phrase qui n’aurait jamais de point final, comme si la suite nous appartenait, sorte de métaphore musicale de la liberté. Et c’est dans cet univers de liberté aux accents trippants que Björk nous aura fait voyager samedi soir, n’oubliant pas de nous rappeler au passage que c’est cette liberté, la clé pour changer le monde.