Du Mozart joué sur un Stradivarius, que demander de plus ?

Le 03.05.2019 par Nicolas Margot

En ce vendredi soir (26.04.2019), la scène qui se déroule à la Philharmonie réunit six personnages hauts en couleur :

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), compositeur autrichien de génie. Enfant prodige, qui se produisit dès l’âge de six ans à Vienne devant l’impératrice Marie-Thérèse, puis à Versailles devant la famille royale et la cour, à Londres devant le roi Georges III. Il meurt prématurément d’épuisement, à seulement trente cinq ans, mais laisse derrière lui une œuvre pléthorique de plus de six cents compositions dont le concerto n°3 KV 216 pour violons (dit Concerto de Straßburg), interprété ce soir-là à la Philharmonie.

Anton Bruckner (1824-1896), compositeur autrichien qui n’entamera lui sa carrière qu’à l’âge de quarante ans après avoir été successivement instituteur puis organiste. Il compose sa symphonie  n°7 en mi majeur, à l’âge de soixante ans, très marqué par l’influence de son modèle Richard Wagner qui vient alors de quitter ce monde.

Veronika Eberle (1988), jeune violoniste allemande, qui débuta sur son instrument de prédilection à l’âge de six ans et fût repérée à l’adolescence par le directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, Sir Simon Rattle, qui l’invita à interpréter le concerto pour violon de Beethoven sous sa direction, attirant aussitôt l’attention du monde entier sur son talent et la propulsant à Londres, Amsterdam, Zürich, Leipzig, New York et Los Angeles.

Andrew Manze (1965), violoniste et chef d’orchestre britannique. Premier violon de l’orchestre baroque d’Amsterdam à l’âge de 23 ans, il se forme peu à peu à la direction d’orchestre, puis exerce dans le monde entier sur invitation de prestigieux ensembles en Corée du Sud, en Chine, en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Suède, en Norvège, en Finlande et même en Australie. Il est par ailleurs membre de l’Académie Royale de Musique, professeur invité à l’Académie d’Oslo et contribue à différents ouvrages, enregistrements et émissions de télévision.

L’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, fondé en 1933 par RTL, et détenu par l’Etat luxembourgeois depuis 1996. Il est dirigé par Gustavo Gimeno depuis 2015 et joue ce soir sous la direction d’Andrew Manze.

Enfin, last but not least, le Stradivarius Dragonetti de 1700 généreusement prêté par la Nippon Music Foundation à Veronika Eberle.

Acte I – Quand Cupidon se fait archet

Soyons honnêtes, nous n’avions jamais auparavant entendu de Stradivarius. Nous savions, certes, que Veronika Eberle avait d’ores et déjà joué sur le Dragonetti de 1700 mais ne nous attendions pas à le voir ce soir-là. Trop fragile à nos yeux pour un concert public, il a tout de même désormais plus de trois cent ans.

Lorsque la violoniste allemande commence à jouer, le doute nous envahit immédiatement. Quel est donc cet instrument à la sonorité si singulière et si parfaite ? Nous scrutons sans relâche ce violon dont le parfait état nous laisse à penser qu’il est neuf. De mouvement en mouvement, le doute laisse place à l’évidence, aucun violon ne résonne ainsi et les sonorités qui en jaillissent rendent celles des autres violons très ternes. Or, nous sommes désormais habitués aux jeux des violonistes de l’OPL et savons parfaitement que leurs jeux ne sont jamais ternes de quelque façon que cela soit. Aussi, nous nous rendons peu à peu à l’évidence, si le contraste à tel, c’est que nous avons sous les yeux un instrument hors du commun, conçu à une époque où Mozart n’était pas encore né, et continuant de résonner pour le plus grand plaisir de ses contemporains grâce aux soins attentifs des générations successives de musiciens et de mécènes qui l’ont possédé.

Un tel instrument mérite amplement la réputation qui le précède. En effet, même une oreille relativement néophyte percevra comme une évidence la perfection de sa sonorité et son incroyable pureté. Veronika Eberle, émue, interprète le concerto de Strassburg les yeux fermés devant un public conquis. L’émotion est palpable dans ce silence de cathédrale, chacun profite de cet instant rare et laisse la musicienne l’immerger totalement dans l’univers qu’elle crée de son archet. Après moins d’une heure, vient le temps des adieux, la talentueuse violoniste est copieusement applaudie avant de se retirer avec le Dragonetti.

Acte II – Le silence d’une séparation

Une fois, les dernières notes de ce trop court concerto n°3 envolées, la violoniste partie un bouquet de fleurs à la main, chacun sort un moment prendre l’air. Les discussions vont bon train, certains relisent le livret de la soirée distribué à l’entrée et découvrent stupéfaits, à la page 47, qu’il s’agissait bien d’une interprétation sur Stradivarius. Le choc est rude. Le retour dans la salle difficile, souhaite-t-on réellement écouter autre chose après tant de génies réunis : génie du luthier, du compositeur, de l’interprète, de la direction suave et de l’orchestre qui a su se maintenir légèrement en retrait pour laisser briller l’étoile de ce soir d’avril et leurs places à tous ces talents.

Acte III – Faire son deuil et tenter un nouveau départ

Une fois de retour à nos sièges, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg entame son interprétation de la Symphonie n°7 en mi majeur WAB 107 d’Anton Bruckner. La transition est malaisée malgré la direction enthousiaste d’Andrew Manze. Les accents wagnériens viennent rompre la douceur du début de soirée, les cuivres nous semblent d’une violence inouïe et rien ne nous console du départ de Mozart, du Stradivarius et de Veronika Eberle. Nous écoutons attentivement mais sans passion l’interprétation enlevée de cette symphonie. Les alternances entre mélodies sirupeuses, dignes d’un charmeur tentant d’être romantique et n’étant que gauche, et les accès béliqueux des cuivres nous épuisent. Les excellents musiciens de l’OPL sont toujours là, le chef d’orchestre britannique aussi, mais notre esprit vagabonde loin d’eux, rêvant de revenir à la première partie de soirée.

Acte IV – Réunis par la technologie

A la sortie, nous relisons le livret et y dénichons une très bonne nouvelle. Ce concert a été enregistré par Radio 100,7 et SR2 Kulturradio et sera retransmis le 10 juillet prochain, l’occasion d’entendre à nouveau ce moment unique où le fameux Stradivarius Dragonetti de 1700 vibrait sous l’archet de Veronika Eberle.

Veronika Eberle (c) Philharmonie Luxembourg / Eric Devillet

La saison 2018-2019 de la Philharmonie se poursuit. A noter, en mai, le retour de Jean-François Zygel pour nous faire découvrir Ravel, une nouvelle interprétation du concerto n°3 de Mozart, cette fois-ci par Anne-Sophie Mutter, la très attendue « Conversation with Nick Cave », Ma Mère l’Oye de Ravel et le Magicien d’Oz, réservez vite avant qu’il ne soit trop tard !

Enfin, si, suite au décès de Son Altesse royale le grand-duc Jean de Luxembourg, prince de Nassau, prince de Bourbon-Parme, le 23 avril dernier, la Philharmonie a renoncé à présenter son programme 2019-2020 à la presse, nous vous en confierons, malgré tout, bientôt les secrets pour que vous puissiez déjà bien préparer la rentrée !