Festival du Film Subversif de Metz 2019

par Erwin S. le 04/04/19

Est subversif ce qui bouscule les codes, les normes, qui renverse ou menace l’ordre établi, les valeurs reçues.

Les films présentés lors de la quatrième édition du Festival du Film Subversif de Metz 2019 (29, 30 et 31 mars 2019) répondaient parfaitement à ce concept, démontrant par là que la grammaire cinématographique n’est finalement qu’une norme dont on peut se passer sans pour autant amputer le plaisir du spectateur.

Cinq films étaient en compétition. Voici ce que nous avons pensé de trois d’entre eux :

Spell

Brendan Walter (USA)

Suite à la disparition de sa fiancée, un dessinateur américain se retrouve à parcourir les étendues sauvages islandaises, à court d’anxiolytiques, sans savoir si ses pulsions sont liées à ses troubles névrotiques ou s’il est incité à élucider des secrets ancestraux.

Benny est paumé. Parce qu’il est un Américain en Islande, bien sûr, mais également parce que sa fiancée n’est plus. Et parce qu’il lutte contre une irrépressible envie de s’enfoncer quelque chose de pointu dans l’oreille gauche.

Benny lèche des vitres, des robinets, des poignées de porte. Un gros vit métallique en pleine exposition d’art, bref, tout ce qui peut le mettre en danger d’une façon ou d’une autre, car Benny est malgré lui dans un processus d’autodestruction.

Manque de bol, sa réserve d’anxiolytiques est épuisée et il ne peut pas la renouveler sans ordonnance. Mais malgré ses tics et ses TOC, suite à la visite d’un musée de la sorcellerie, il fait la connaissance d’une jeune fille qui n’est pas insensible à ses charmes rustiques et qui finit dans sa chambre d’hôtel.

Ne dévoilons pas la suite au risque de ruiner le plaisir, mais soulevons légèrement le voile en disant que le reste est à base de runes, de trekking dans la campagne islandaise, de tatouages et de malédictions, le tout entrecoupé de flashbacks narrant peu à peu la vie passée de Benny et la vie fanée de sa petite amie.

C’est une réussite. On est pris dans les pérégrinations du personnage sans jamais s’ennuyer ni deviner ce qui va suivre, on s’amuse de sa gaucherie, on s’étonne devant la personnalité du guide qu’il ne tarde pas à rencontrer, on se demande qui est qui et qui veut quoi, et pour finir on comprend, selon sa sensibilité, ou selon ce que l’on choisit de comprendre, et c’est très bien comme ça.

To Dust

Shawn Snyder (USA)

Shmuel, un chantre Hassidique new-yorkais, effondré après le décès brutal de son épouse, peine à trouver du réconfort dans ses croyances religieuses et développe une obsession secrète pour l’état de décomposition du cadavre de cette dernière. Alors qu’il initie une collaboration clandestine avec Albert, un professeur de biologie en poste dans un collège communautaire, les deux hommes entreprennent un voyage vers l’au-delà sinistrement drôle et de plus en plus…concret.

To Dust a été déclaré vainqueur de la compétition par le jury du festival, et nous ne les contredirons pas tant la sélection était solide et difficile à départager. Toutes nos félicitations à Shawn Snyder, donc, qui s’était déplacé de New York pour venir présenter son dernier film et qui est une personne charmante, humble et talentueuse.

Snyder s’est dit ravi de voir son film qualifié de subversif, et c’est effectivement un adjectif qui lui colle parfaitement à la pellicule. Admirablement servi par Matthew « Ferris Bueller » Broderick et l’impressionnant Géza « Fils de Saul » Röhrig, ce film à la fois lumineux par sa magie et sombre par la gravité de son sujet nous entraîne dans les méandres d’une réflexion religioso-philosophique, métaphysique, voire existentielle, en nous faisant visiter tout à tour un laboratoire de lycée, une forêt-cimetière de cochons et un parc à cadavres. Mais que cela ne rebute en rien le spectateur potentiel : on y rit souvent et on y rit franchement.

Affranchi des codes narratifs usuels, To Dust n’a de cesse de nous surprendre et de nous émouvoir, malgré l’absence d’antagonistes ou d’enjeux concrets. C’est tout à l’honneur de son habile réalisateur.

The Green Fog

Guy Maddin, Galen Johnson, Evan Johnson (Canada)

Les réalisateurs ont recréé Vertigo d’Alfred Hitchcock en utilisant exclusivement des plans de films et séries télévisées dont l’action se déroule à San Francisco.

Vertigo, ou Sueurs Froides en français, est régulièrement placé en tête de liste des meilleurs films de l’histoire du cinéma tant il fait montre d’une maestria extrême doublée d’une accessibilité universelle. Afin de totalement apprécier The Green Fog, il est préférable de bien connaître le film d’Hitchcock, sans quoi l’expérience peut être déroutante, voire pénible (une partie de la salle ayant admis avant la projection ne pas avoir vu le film, nous ne pouvons que nous demander ce qu’ils en ont retiré).

La fameuse brume verte qui donne son nom au montage et qui a été ajoutée numériquement à certains plans fait référence à une scène-clé de Vertigo, dans laquelle Judy (Kim Novak) est transformée en Madeleine (Kim Novak aussi) pour le bon plaisir de Scottie (James Stewart). L’apparition fantomatique est alors baignée d’une sorte de nuage verdâtre qui renforce la confusion, l’irréalité du moment.

Au-delà de l’hommage et de l’exercice de style, The Green Fog est drôle. D’abord, parce que la suppression des dialogues de certaines scènes remontées donne un résultat franchement comique. Ensuite, parce que l’on peut le prendre comme un jeu de piste où il s’agirait de reconnaître la scène originale évoquée par la succession d’images, parfois symboliquement, parfois très littéralement. Pour preuve, l’hilarante prise de conscience de Scottie sur la nature réelle de Judy, illustrée ici par le célèbre cri de Donald Sutherland dans Invasion of the Body Snatchers.

Maddin et les Johnson ont fait un travail remarquable de recherche, de compilation et de montage, pour un résultat qui vaut la peine d’être vécu. Ne serait-ce que pour son côté plaisir coupable.

Bravo à Charlotte Wensierski et à toute l’équipe du Bloggers Cinema Club pour l’organisation de ce beau festival qui mérite de grandir et de grossir en taille et en renommée. C’est inéluctable.