Le bal masqué

Nos reporters invités sur le tournage du film Kommunioun

par Erwin S. et Happy Dayz Photographie le 19.07.2021

Le mercredi 30 juin dernier, une petite sélection de journalistes a été accueillie sur le tournage du dernier film de la société de production Les Films Fauves, Kommunioun, réalisé par Jacques Molitor. Grrrrr a eu le privilège de dépêcher deux témoins, la photographe Caroline et le rédacteur Erwin.

Le long-métrage ayant été présenté dans l’invitation comme un film d’horreur, nos lecteurs ne seront pas surpris d’apprendre que nos reporters n’ont plus donné signe de vie depuis cette date, et que nous n’avons retrouvé sur place qu’un petit carnet de notes et un appareil photo. En combinant le contenu de ces deux vestiges d’une journée particulière, nous avons tenté de reconstituer les événements, à la manière d’un found footage.

la dernière trace de nos reporters
©Happy Dayz Photographie

Schengen, 13 heures. L’assistante de production et un chauffeur viennent chercher nos reporters, priés de se garer à l’extérieur du village dont le centre est pris d’assaut par l’équipe du tournage. On remet aux invités des masques FFP2, officiellement par précaution sanitaire, mais nous soupçonnons une manœuvre destinée à éviter que l’ADN des malheureux ne devienne une preuve incriminante.

Les invités profitent du court trajet pour relire le résumé du film envoyé par la prod :

Bruxelles, Elaine (35 ans) concilie difficilement sa vie professionnelle et l’éducation de son fils Martin (10 ans). Ce dernier a un comportement étrange, incontrôlable. Il souffre de l’absence de son père Patrick, qui les a abandonnés avant sa naissance. Quand Martin mord jusqu’au sang un de ses camarades, Elaine décide de partir à la recherche de ses origines, dans la famille de son ancien amant au Luxembourg, les Urwald. Quand elle réalise que Martin pourrait devenir comme eux, Elaine est forcée de se battre désespérément pour l’avenir de son fils.

©Les Films Fauves 2021

Intrigant. Caro et Erwin sont bien décidés à en savoir plus. On les conduit sur la place du village où se tourne la scène de « la fête du vin ». Une grande partie du casting est présente, mais pas les loups, qui ont tourné leurs plans la veille. Sur une estrade, une fanfare joue un air festif devant un parterre de villageois heureux, coupe de crémant à la main et faciès hilares.

©Happy Dayz Photographie

Un char de défilé est bientôt tiré par un tracteur, emportant, au milieu d’énormes grappes de raisin dorées, une rayonnante miss et ses deux dauphines en élégante robes bordeaux, un verre de vin local à la main.

©Happy Dayz Photographie

L’assistance les regarde passer avec bienveillance, puis surgit le jeune Martin, qui court se rincer les mains à la fontaine avant de se précipiter vers un stand de boissons. La caméra suit le moindre de ses mouvements avant de bifurquer vers un personnage qui se dirige vers un groupe d’officiels dont le maire, le curé et Joseph Urwald. Ils discutent, un personnage se détache pour s’approcher de la caméra, on crie « coupez », la prise en plan-séquence est dans la boîte. Ou peut-être pas, alors on remet tout en place et on en tourne une deuxième, puis une troisième en regardant les cieux d’un air inquiet : la pluie a en effet décidé de se joindre à la fête, il faut donc se dépêcher pour s’assurer que les plans soient raccord.

©Happy Dayz Photographie

Il y a à peu près autant de monde devant et derrière la caméra. Des techniciens qui s’affairent, des scriptes qui vérifient la cohérence des séquences, des opérateurs, maquilleuses, assistants… La jeune assistante son, armée de sa perche, suit chaque action pertinente en prenant garde de ne pas apparaître dans le champ.

©Happy Dayz Photographie

Pendant que le producteur Gilles Chanial surveille son bébé en devenir, son associé et brillant réalisateur du célébré Gutland, Govinda Van Maele, fait office de photographe de plateau (Erwin ne manquera pas de faire son fanboy en lui demandant de signer son DVD du film).

Govinda Van Maele
©Happy Dayz Photographie

Un peu en retrait, sous une petite tente protégée de la lumière, un moniteur de contrôle, le fameux combo, diffuse les images fraîchement tournées. Le réalisateur Jacques Molitor y vient régulièrement vérifier ses prises avant de ressortir avec de nouvelles consignes. Pour l’heure, la lumière ayant changé, il est décidé de préparer le plan suivant. Les acteurs et les figurants peuvent se reposer, sans oublier de remettre leur masque, leitmotiv de la journée.

©Happy Dayz Photographie

Le groupe de journalistes est alors invité à s’abriter dans un café voisin où défileront devant eux les divers auteurs et acteurs du projet. Voici ce que nous avons pu reconstituer des échanges, d’après les notes retrouvées.

Le producteur Gilles Chanial, des Films Fauves, notamment responsable de Gutland (sur une thématique similaire : l’appartenance à une communauté, la dissimulation de la vérité), Jumbo ou encore de la série Coyotes, partage son enthousiasme pour le projet. Il explique que le tournage en est à peu près à mi-chemin et que tout se passe merveilleusement bien. Il est surpris et ravi de l’étonnante alchimie qui opère entre Louise Manteau et Victor Dieu, qui jouent la mère et le fils et s’entendent à merveille.

Gilles Chanial, de dos
©Happy Dayz Photographie

Jacques Molitor, talentueux réalisateur dont nous vous invitons à regarder la showreel pour vous convaincre de la qualité de son œil, a derrière lui plusieurs documentaires remarqués, courts-métrages et un long-métrage, Mammejong. Il a notamment suivi des cours à la prestigieuse USC de Los Angeles et a assisté à la masterclass d’écriture de scénario de John Truby, dont la méthode, témoigne-t-il, l’a beaucoup aidé au moment de la réécriture avec sa co-scénariste Régine Abadia. Jacques se sert de cette technique pour structurer et visualiser les concepts, avant de tout laisser tomber pour laisser son imagination se défouler, puis d’y revenir à nouveau. Ce qui l’attire dans le concept du monstre, ce n’est pas la terreur ni la métamorphose physique, mais le côté tragique et romantique à la fois. Le monstre évoque la maladie, il est ostracisé sans être responsable de sa condition.

Jacques Molitor entouré de journalistes
©Happy Dayz Photographie

Quand on lui demande s’il se base sur des références, Jacques n’en voit pas de conscientes. Puis, après réflexion, il évoque Rosemary’s Baby et The Handmaid’s Tale, ce qui peut donner une vague idée de l’atmosphère qui se dégagera du film. Quelques mots sur les acteurs, qui ont été facilement choisis, notamment Marja-Leena Juncker dont le « côté royal » colle bien au personnage. Pour la mère et les enfants, un casting a été organisé et la recherche fut longue et laborieuse, mais au final, l’évidence s’est imposée avec Louise et Victor. Enfin, le réalisateur mentionne la bande-son du film, composée par Daniel Offermann du groupe Girls in Hawai, et qu’il dit absolument remarquable. Inutile de préciser qu’on l’attend avec impatience !

A la question « qu’est-ce qui vous fait peur au cinéma ? » Jacques hésite un instant, puis répond « A Serbian Film ». Après un second temps de réflexion, il ajoute « Hereditary ». Nous nous permettons de confirmer que le second est une merveille, mais ne nous prononcerons pas sur le premier, que nous n’avons pas vu et qui traîne une aura trouble, ce qui expliquerait que M. Molitor ait été remué.

Puis vient le tour des deux protagonistes principaux du film, Elaine et Martin, interprétés par Louise Manteau et Victor Dieu. Il est vrai que l’on sent immédiatement la complicité de ceux qui jouent une mère et son fils, comme le prouvent les photos qui illustrent cet article.

Louise Manteau et Victor Dieu
©Happy Dayz Photographie

Victor avait déjà été « casté » quand Louise a été choisie, et ils ont eu un excellent feeling dès les premiers essais. C’est le premier film du jeune homme de 13 ans qui, fort d’expériences théâtrales, est absolument ravi de tenir ce rôle. Il a dû abandonner les bancs de l’école pendant trois mois pour les besoins du tournage, ce qui ne contrarie pas ses copains, au contraire : tous sont avides de ses récits de tournage. Il n’a pas encore vu de films d’horreur, n’étant pas forcément attiré par le genre, mais est fan de Saving Private Ryan et de Spider-Man. Nous lui souhaitons toute la réussite qui semble déjà lui sourire !

Louise a déjà tourné dans des séries et des courts-métrages, mais ceci sera son premier film dans un rôle principal. Elle a envoûté l’équipe et gère magistralement son personnage. Questionnée sur son rapport à Elaine, Louise confesse qu’elle est en totale empathie avec cette jeune maman, qui est affaiblie par l’abandon du père de son enfant mais reste une battante. Les deux jeunes femmes se ressemblent d’ailleurs un peu, le type à enfoncer les murs pour soutenir son enfant, voire à faire des sacrifices déchirants que nous ne révèlerons pas par crainte de nous faire gronder par les Fauves. L’approche des différences de classes sociales dans le scénario a attiré Louise, qui a été très touchée par l’histoire forte du film. Sur le genre horrifique, l’actrice n’est pas la cible idéale pour les histoires qui font peur car, trop sensible, elle n’en supporte pas la vision, mais dans le cas présent, les thèmes sous-jacents l’ont séduite.

A la question « c’est comment de tourner avec Jacques Molitor ? », Louise sourit. C’est visiblement une expérience agréable, d’autant qu’à ses dires, ce dernier a un solide sens de l’humour, quitte à parfois déstabiliser ses interlocuteurs.

Louise Manteau et Victor Dieu, sérieux pendant leur interview
©Happy Dayz Photographie

Plus les informations s’accumulent, plus le spectre du film en devenir s’éloigne de la forme horrifique pour dessiner un drame familial bouleversant, sublimé par une touche de fantastique. Ne sont-ce pas là certains des ingrédients qui constituent les meilleurs films ?

L’enquête se poursuit avec l’arrivée dans le café de quatre grandes figures de la scène luxembourgeoise et d’une petite nouvelle, Yulia Chernyshkova, Miss Luxembourg 2019, désarmante de timidité et d’humilité, qui joue Tatiana, la femme trophée de Jean. Comme elle, son personnage vient d’ailleurs (Russie pour la première, Ukraine pour la seconde) et cherche à s’adapter à une culture étrangère. Yulia vit actuellement sa première expérience de cinéma et cela lui donne envie de continuer dans cette voie. A voir la chaleureuse ambiance sur le tournage, on la comprend !

Marco Lorenzini et Yulia Chernyshkova (à droite)
©Happy Dayz Photographie

Autour de la jeune débutante, un impressionnant quatuor de personnalités montées depuis un peu plus longtemps sur le chariot de Thespis. A commencer par Marja-Leena Juncker, ancienne directrice du Théâtre du Centaure, metteuse en scène, comédienne de théâtre et actrice de cinéma à la carrière qui force le respect. Elle interprète Adrienne Urwald, la grand-mère de Martin. Arrivée de Finlande il y a quelques décennies, Marja-Leena possède à la fois une culture de naissance et une culture d’adoption, ce dans quoi elle peut puiser pour aborder des situations telles que la confrontation du monde des Urwald à celui d’Elaine et Martin. A la question « comment crée-t-on la peur en tant qu’acteur ? », elle sourit, baisse la tête un instant, hésite et déclare « comme tous les autres sentiments au cinéma ». Notre question était stupide, effectivement. On est acteur ou on ne l’est pas. D’ailleurs, Marja-Leena ne considère pas du tout Kommunioun comme un film d’horreur, mais simplement comme une très belle histoire, une fable avec une magnifique fin. Elle se dit ravie de faire partie de l’aventure, et nous avons hâte de la voir exceller sur grand écran.

Marja-Leena Juncker
©Happy Dayz Photographie

A ses côtés, le non moins intimidant Marco Lorenzini, fort de 300 pièces de théâtre et d’une cinquantaine de films, joue son mari Joseph. On se souvient de sa prestation dans Gutland, où il parvenait à créer une inquiétante étrangeté tout en restant très souriant, un peu à la façon d’un Gene Hackman. Au sujet de son personnage de patriarche, Marco le trouve intéressant car il évolue au cours du récit, et le spectateur, qui se sera fait une idée au départ, le verra différemment à mesure que l’intrigue se déroulera. Ici encore, nous sommes impatients de voir sa prestation !

Marco Lorenzini
©Les Films Fauves 2021

Le très sympathique Jules Werner interprète Jean, le fils du couple de patriarches et oncle de Martin. 24 films et 45 pièces de théâtre à son actif, Jules endosse un rôle difficile que le public aimera détester, ce qui le rend plus disert quand une question est posée à l’assemblée. Au sujet de la question sur la peur, notamment, il minimise son apport en expliquant que ce sont le montage, la musique et la juxtaposition qui permettent de créer le frisson. Dans le carnet de notes, nous avons retrouvé une réponse précise à une question précise, que nous vous livrons telle quelle :
« – Jean Urwald est un personnage assez dur. Afin de l’interpréter, vous avez dû réussir à le comprendre ou à justifier son comportement. Ça s’est passé comment ?
– Non, je n’ai pas vraiment d’empathie pour Jean, ça serait difficile. Je joue le rôle d’un fils qui n’arrivera jamais à ressembler à son frère disparu et idéalisé, et qui doit malgré lui se charger de la sale besogne. C’est comme pour l’œuf et la poule, est-il un salopard à cause de ses parents ou ses parents sont-ils ainsi parce qu’il est mauvais ? Il est toujours intéressant de montrer les faiblesses des personnages
 ».

Jules Werner
©Happy Dayz Photographie

Enfin, l’imposant ancien directeur du théâtre d’Esch-sur-Alzette Charles Muller a été choisi pour le rôle du médecin de famille, gardien de tous leurs secrets. L’occasion était trop tentante pour ne pas lui poser la question : Pouvait-il nous révéler un secret sur ce tournage ?

« Il n’y en a pas… Ou peu », ajoute-t-il avec un sourire mystérieux.  En tant que metteur en scène de théâtre, pour sa quatrième expérience de cinéma, Charles n’est pas tenté par la réalisation d’un film, qui est fondamentalement différente de l’expérience sur les planches. Marja-Leena et lui-même estiment que chacun doit faire ce qu’il sait faire et que jouer est un contrat établi entre l’acteur et son metteur en scène. Jacques Molitor est qualifié de réalisateur très attentif qui aide beaucoup ses comédiens. Sur Kommunioun, Charles ajoute que le film évoque la situation planétaire et ne se cantonne pas au local ; « le monstre est en nous » dit-il, ce qui est parfaitement illustré par le mythe de la lycanthropie qui plane sur le scénario.

Charles Muller
©Happy Dayz Photographie

Pour finir, tous les acteurs présents se sont exprimés sur la très bonne atmosphère qui règne sur le plateau depuis le début du tournage, ce qui est manifestement une chose assez rare pour être soulignée. Malgré la pandémie qui restreint les libertés, l’équipe sait être alerte et gère parfaitement la situation. L’année COVID a permis un retour au questionnement sur soi-même, a nourri les acteurs différemment, et leur a peut-être même permis de devenir de meilleurs comédiens.

L’excellente atmosphère qui règne sur le plateau, la gentillesse et la disponibilité de Manon, l’assistante de production, de l’équipe des Films Fauves, des techniciens, de tous les acteurs sans exception, et la bonne humeur générale laissent deviner que Kommunioun est fabriqué avec sincérité, ce qui est indispensable pour qu’un film parle au public. Le talent de la chef opératrice Amandine Klee, la vision de Jacques Molitor, le synopsis détaillé du film (que nous ne révèlerons pas), l’expérience des comédiens et les références mentionnées dans le dossier de presse s’ajoutent à ce sentiment pour nous mettre définitivement l’eau à la bouche.

Nous serons présents quand le film sortira, vraisemblablement en 2022, et nous espérons que Caro et Erwin auront refait surface d’ici-là afin qu’ils découvrent eux aussi le film terminé.

Longue vie à Kommunioun !

©Happy Dayz Photographie