Luxembourg Street Photo Festival : Pierre Gély-Fort

Par Maryline Dumotier et SoMuch Noise le 16.05.2020

Pierre Gély-Fort fait partie des grands noms français de la street phtography, il n’en est d’ailleurs pas à sa 1ère intervention sur le festival !

Son humanisme transparaît dans ses images, aux tonalités colorées, à l’exception de son avant-dernière œuvre exclusivement exprimée en noir et blanc, « The Dark Love Boat », une invitation à découvrir qui sont les croisiéristes de ce gigantesque paquebot. Pierre Gély-Fort nous raconte ses histoires  de vie qu’il croise,  de ces peuples qu’il rencontre, sous la forme de livres sans légende, où notre propre regard peut rejoindre la danse du jeu des échos qu’il crée, afin d’y apporter notre propre histoire. Un voyage d’émotions et de bienveillance.

Série « The Dark Love Boat » (c) Pierre Gély-Fort

Il y a un an, nous étions au Luxembourg Street Photography Festival (voir article) où nous avions pu rencontrer Sabine Weiss, qui depuis, nous fait regretter notre simple vie. Aujourd’hui, la définition du « simple » prend un autre sens, d’ailleurs, rien n’a plus de sens.

Malgré tout, nous avons le plaisir, cette année, de participer online au Festival, à la Slide night, l’Open Wall, aux conférences de photographes de renom et… le confinement a du bon : de prendre le temps de poser quelques questions aux invités.

  1. Aujourd’hui avec nos smartphones, nous sommes tous devenus des artistes de photos de rue, qu’est ce qui fait la différence ? La technique, le matériel, la spontanéité, la finalité ?

« Tout d’abord c’est une excellente question ! En ce qui me concerne aux 3/4 c’est la finalité.

Chacun peut avoir sa propre finalité et donc par la même se différencier. Avant d’étayer cette notion de finalité, traitons les deux autres notions. Je dis bien deux car pour moi le matériel est inclus dans la technique.

La technique incluant le matériel se doit, non pas d’être maîtrisée mais dominée. Dans le seul but de servir la finalité. Cette technique incontournable n’est néanmoins qu’un outil / qu’un moyen.

La spontanéité, comme la créativité, la faculté à voir ce que les autres ne voient pas, l’opiniâtreté, … enfin toutes ces qualités sont également importantes. Mais comme le reste elles ne sont que des moyens au service de la finalité.

La finalité qui me motive est la narration visuelle via le livre-photos sans titre et légende des images, juste le titre du livre et un très court texte d’introduction ou de conclusion. En clair ce type de livre-photos est mon médium. Les images, la technique ou le reste ne sont que la matière première alimentant le  médium. La réalisation d’un livre-photos a pour objectif de présenter une œuvre aboutie où le hasard n’a pas sa place, la narration, le choix des images, l’harmonie formelle et le séquençage sont le fruit à 100% de la pensée de l’auteur.

D’autres photographes ont certainement des points de vue et des finalités différents. »

  1. Où, quand, comment et pourquoi décide–t’on de la couleur ou du noir et blanc ?

« Différents cas peuvent se présenter. Je vais en prendre deux par exemple, celui d’Anne-Marie photographe et le mien. Nous avons réalisé la moitié de nos projets personnels ensemble à travers le monde. Plus précisément nous photographions les mêmes choses, les mêmes scènes mais nous les restituons différemment.

Anne-Marie « voit » uniquement en Noir et Blanc (N&B), de plus au format carré et exclusivement via une visée ventrale. Elle ne porte jamais son appareil à l’œil. Anne-Marie a décidé dès le départ et encore aujourd’hui que sa photographie est en N&B. Elle ne sait s’exprimer à ce jour qu’en N&B. Allez voir le résultat son site ici.

Mon mode d’expression c’est la couleur … enfin je le croyais jusqu’en mars 2019 lors de cette croisière sur le plus gros paquebot du monde le « Symphony of the Seas »! Tout en photographiant en couleurs ces croisiéristes américains, j’ai rapidement et pour la première fois « vu » cette « vie » à bord en N&B ! Aussi en rentrant de ce projet j’ai sans les regarder immédiatement, transformé mes clichés en N&B. Et donc réalisé le livre « The Dark Love Boat » jusqu’à la fin sans avoir vu les images couleurs originales.

Pour terminer, le grand photographe Harry Gruyaert reconnu comme un des maîtres de la photo couleur au niveau mondial et qui était l’invité du Luxembourg Street Photography Festival en 2018, a photographié ses filles de la naissance à l’âge adulte en N&B ! Quand on lui a posé la question, il a répondu « je trouve que les couleurs dans ce cas auraient distrait l’émotion que je voulais montrer, le N&B recentre l’attention sur l’humain dans ces scènes. »

Pour conclure sur ce thème, je pense qu’il n’y a pas de règle, chaque photographe en fonction de sa sensibilité profonde, du moment ou du sujet, choisi de passer de la couleur au N&B et vice versa. »

  1. Comme dans tout autre domaine, les femmes sont peu représentées – l’homme photographie, la femme est photographiée –  A l’instar du Luxembourg Street Photography Festival, vous êtes quatre hommes invités. Pensez-vous qu’il existe un « male gaze », que vos photos ne pourraient être réalisées par une femme ?

« Non, je dirais et pense le contraire! Il y a un « femal gaze » et les photos de ces femmes photographes je ne pourrais pas les réaliser ! Encore une fois ce n’est que mon opinion.

L’exemple le plus frappant m’est venu ici même l’année dernière au Luxembourg Street Photography Festival avec le travail que Vanessa Windship a présenté. Nous faisions partie des quatre invités, dont Sabine Weiss que vous avez interviewée. Une parenthèse d’ailleurs l’année dernier nous étions deux femmes et deux hommes comme invités. Revenons à Vanessa qui vit depuis 35 ans avec un photographe George Georgiou.

Tous les deux sont des grands photographes reconnus, et ce au même niveau. Dans les photos de son mari George je me reconnais, son univers m’est familier, j’ai l’impression que ma pratique obéit aux mêmes codes, bien que jouant dans une autre catégorie. Les photos de Vanessa me transpercent d’émotion comme aucune de George ne saurait le faire! Ses photos transpirent d’une sensibilité puissante et pourtant si subtile! Je serais incapable même d’approcher de loin ce résultat. Je n’ai pas en mémoire de travaux masculins m’ayant donné cette émotion. Par contre les paysages et surtout les portraits de Vanessa en termes d’intensité et d’impact me font penser à ceux d’une autre femme: Diane Arbus.

Autre exemple contraire cette fois de couple photographes : Trent Parke de chez Magnum et sa femme Narelle Autio.

Les différences dans leurs œuvres et surtout leurs impacts émotionnels ne sont pas si marquées. J’en perçois même une certaine similitude, Narelle affiche qu’elle est capable de réaliser des clichés comparables à ceux de Trent son mari. »

  1. La pandémie qui circule en ce moment a modifié nos modes de vie, a-t-elle modifié votre vision d’artiste? L’oisiveté subie a également suscité la créativité de chacun, qu’a-t-elle révélée chez vous ?

« Votre question tombe à pic ! Car la réponse est oui … radicalement !

Après des semaines de doutes et de réflexions sur l’évolution de mon travail où les sentiments de tourner en rond, de ne pas se renouveler et de se répéter prennent prise, le confinement est tombé !

Transformant ce (long) moment en opportunité, je commence, je dis bien commence, à voir une petite lueur au loin. J’ai réalisé un travail (un livre) dont les prises de vue ont été faites au deuxième semestre 2019 exclusivement dans un musée. Grâce au confinement je viens de le terminer: c’est l’histoire vraie d’un confinement autoritaire pendant 40 ans d’un pays disparu de 16 millions d’habitants que l’on peut visionner ici.

L’oisiveté subie m’a révélé qu’en fait maintenant je ne ressens plus le besoin de voyager pour faire des photos, mais plutôt l’envie de faire des photos pour offrir un voyage ! »

  1. Quelle est la dernière photo que vous ayez prise? Peut-on la voir?

« La dernière date du 6 mai dernier à 20h40: un couché de soleil sur mon soleil artificiel » (NDLR: photo de couverture).

Article à suivre: Vlad EFTENIE