Oh! L’humanité! (2/2)

Partie 2/2.


par Erwin le 26.03.2021

Nous continuons notre compte-rendu du festival avec quelques impressions sur certains des films que nous avons pu voir dans les catégories Carte Blanche, Made in/with Luxembourg et Documentaire.

Carte Blanche :

The 8th

Passionnant documentaire sur les fluctuations des évolutions sociétales en Irlande au cours des dernières décennies. The 8th, c’est le huitième amendement, une interdiction constitutionnelle de l’avortement approuvée par référendum en 1983 et condamnant depuis de nombreuses femmes à partir à l’étranger pour suivre la procédure dans des conditions généralement difficiles voire dangereuses. Dans une société très traditionnelle hantée par une conception moyenâgeuse de la religion toute-puissante, ce « droit à la vie » se traduisait fréquemment par un droit à la mort de la jeune femme fécondée malgré elle. Il aura fallu attendre trente années pour que la population se renouvelle suffisamment pour inverser les tendances, et en 2012, la mort douloureuse et injuste de Savita Halappanavar permit de relancer le débat. Le hashtag #RepealThe8th fut lancé et la « Abortion Rights Campaign » entama un long processus d’information de la population afin de les inciter à voter « oui » au référendum pour l’abrogation de cet amendement liberticide en 2018.

Le résultat fut au-delà des espérances. Dans un effet de miroir en forme de pied-de-nez, le oui l’emporta par deux tiers des votes, là où également deux tiers avaient mis l’amendement en place des décennies auparavant. Un film plein d’espoir, porté par la formidable militante Ailbhe Smyth dont la résolution et l’émotion traversent l’écran. Même si l’on connaît la fin, il est indispensable de voir ces femmes se battre et faire plier ce régime rigide et froid.

The Columnist

Voici un film qui tape au cœur de son époque, comme nombre d’autres de la sélection, en évoquant cette fois le harcèlement en ligne et l’horreur absolue des hordes de haters couards de l’internet réfugiés derrière l’anonymat de leurs pseudonymes. On sait que, dans de nombreux pays, la haine pure qui se dégage des sections commentaires de certains sites ou de Twitter est capable de pousser au suicide, d’inciter au lynchage ou de mettre des têtes à prix, avec exécution à la clé. Ici, nous sommes aux Pays-Bas, où l’auteure et journaliste Femke Boot devient la tête de Turc de la lie du web misogyne suite à un article somme toute anodin. Et quoi qu’elle fasse, la haine s’attise et les appels au viol ou au meurtre se multiplient. Bien sûr, ses proches lui conseillent de ne pas tenir compte de ces messages, ou encore mieux, de ne simplement pas en prendre connaissance, mais c’est plus fort qu’elle, elle s’y plonge, elle se ronge, et finit par prendre les choses en main.

Le film démarre suffisamment bien pour que l’on soit en droit d’espérer un grand moment. Hélas, s’il séduira sans doute une partie du public (et il n’y a aucun mal à ça, certaines scènes cathartiques sont assez jouissives), il a rapidement cessé de fonctionner sur celui qui rédige ces lignes. L’approche de Femke dans sa gestion du problème est trop directe, trop évidente pour ne pas faire penser à un simple fantasme revanchard, et les incohérences s’accumulent en trop grand nombre pour convaincre. La révélation de l’identité réelle des agresseurs virtuels, par exemple, ne joue pas assez sur l’humanité de ces losers, qui auraient très bien pu être des enfants ou des adolescents en quête d’un peu d’influence ou de reconnaissance sociale. Il n’en est rien, et même si l’on entraperçoit leur côté humain, ils restent tous des ordures caricaturales sans âme. Cela reste un bon moment de défoulement, mais malheureusement pas le pamphlet au vitriol que cela aurait pu être. Dommage.

We are the Thousand

Oh! L’humanité!

Si cette phrase peut être prise comme un appel au réveil et à se bouger les fesses (cf certains autres films évoqués dans ces deux articles), elle prend ici un tout autre sens. Oh ! La beauté ! Oh ! L’émotion ! Oh ! La boule au fond de la gorge ! Car ils sont beaux, ces Italiens et ces Italiennes qui traversent le pays au nom de l’art, de la musique, de la beauté du geste. Elle est belle, cette réunion de mille musiciens qui arrivent miraculeusement à éviter la cacophonie. Et qu’est-ce qu’elle est belle, la liberté d’assister à un concert, d’échanger par le truchement de ses talents personnels dans une communauté souriante quoi qu’il advienne, dans ce pari fou mais génial. Mais ça, c’était avant 2020.

Ce pari, c’est une idée de Fabio Zaffagnini qui, en 2015, a eu l’idée saugrenue de lancer un appel à tous les musiciens amateurs d’Italie. Il cherchait 250 chanteurs, 350 guitaristes, 250 batteurs et 150 bassistes pour reprendre ensemble un tube des Foo Fighters, « learn to fly » dans une prairie de Cesena, un petit village italien où pas grand-chose ne se passe et pas grand monde ne passe, et sûrement pas Dave Grohl.

L’invitation fut faite, générant peu de réactions dans un premier temps, puis séduisant assez de monde pour organiser des mini-castings. Au final, l’événement eut lieu dans une quasi-improvisation et fut un succès éblouissant. Si vous ne l’aviez pas vu à l’époque, savourez donc ce moment de poésie pure et imaginez l’effet que ce clip peut avoir sur un écran géant en plein milieu d’une pandémie ; vous comprendrez pourquoi nous avons sangloté de bonheur, un peu comme des gros bébés.

We Are The Thousand © Andrea Bardi.jpg

Au-delà de la prouesse technique (réussite absolue après un très léger couac de départ plutôt marrant, vite corrigé par l’excellent chef d’orchestre Marco Sabiu), l’événement a cela de magique qu’il ne met personne en avant, il n’y a aucune star, aucun pénible qui essayerait de briller plus que les autres. Nous assistons à une bouleversante communion de ce qu’il peut y avoir de plus beau dans la race humaine. Pendant quelques minutes, ils sont libres, ils sont égaux, ils sont frères, et ils le sont pour l’amour inconditionnel de la musique. Pour ça, et… pour supplier les Foo Fighters de venir se produire à Cesena.

Il y a autre chose de terriblement humain dans le monde de la musique, et c’est l’atypique Dave Grohl. L’antithèse parfaite de la superstar inaccessible qui se la pète, Grohl est non seulement monstrueusement talentueux avec n’importe quel instrument (voir ses passages par Nirvana, Them Crooked Vultures, Queens of the Stone Age ou encore Nine Inch Nails et Tenacious D), il est également incroyablement généreux, enthousiaste et sympa. Un mec bien au milieu d’un océan d’egos. Qu’allait-il faire quand il entendrait parler du rassemblement Rockin’1000, ce cri d’amour d’un millier d’oiseaux de l’autre côté de l’Atlantique ?

Evidemment il est venu à Cesena. Evidemment il a invité les organisateurs à ses concerts en Amérique, les a fait jouer sur scène avec lui, évidemment il a offert à tout ce beau monde le plus beau jour de leur vie.

Est-il besoin d’ajouter que vous devez impérativement voir ce film, que vous soyez fans des Foo Fighters ou non, simplement parce que vous avez des yeux, des oreilles et un cœur ?

That’s what I thought.

A thousand cuts

Une petite coupure superficielle, ça ne fait pas grand mal. Quand on arrive à mille coupures, il est temps d’intervenir : la santé, voire la vie en dépendent. C’est ce que constate la téméraire journaliste Maria Ressa, fondatrice du site d’information Rappler, au sujet de la démocratie face à la discipline ultra-autoritaire imposée aux Philippins par le président Rodrigo Duterte, parfait méchant de cinéma. Un parfait méchant interviewé par une parfaite héroïne, tous deux bigger than life, voilà un casting idéal pour une fiction prenante. A part que tout ceci est vrai, se passe actuellement et ne peut provoquer chez le spectateur que terreur absolue d’un côté, respect éternel de l’autre. Duterte annonce et répète régulièrement que sa guerre contre la drogue, il la mènera directement auprès des victimes, qu’il menace purement et simplement de tuer. On est en droit de penser qu’il se trompe légèrement de cible et qu’il serait bien évidemment plus efficace de combattre la corruption des officiels qui ferment les yeux ou carrément les barons des cartels, mais l’idée ne semble pas lui traverser le crâne et la partie bien-pensante de son peuple le suit avec ferveur. Car il s’agit de nettoyer les Philippines, de faire place nette, de générer une image de réussite et de propreté. Pas de régler un quelconque problème. Certaines images le montrent d’ailleurs en grande intelligence complicité avec D.J. Trump, et curieusement pas avec le Dalaï-Lama.

Un documentaire essentiel qui montre la lutte quotidienne des journalistes intègres que les pouvoirs en place tentent de décrédibiliser, voire de mettre aux arrêts en les accusant de propager des « fake news », et qui fait écho à la situation des Etats-Unis entre 2016 et 2020.

The Fantastic

L’idée est assez extraordinaire. Quand l’Occident ne sait plus quoi faire de ses déchets et les revend à des pays lointains à la stabilité économique bancale, cela peut bien sûr provoquer des marées de plastique comme on le voit trop souvent, mais l’un des effets peu connus concerne les populations locales et leur découverte d’un monde jusqu’alors inconnu. Dans ce court film de 30 minutes, cela prend la forme d’interviews anonymes d’anciens habitants de la Corée du Nord qui ont trouvé des milliers de cassettes vidéo enregistrées et jetées par l’Ouest, et qui les ont regardées. Acte de sédition s’il en est, l’information étant strictement contrôlée par le régime en place. Les huit témoins évoquent alors leur expérience stupéfaite de films interdits comme Rambo ou Matrix et vont jusqu’à s’étonner de la cruauté avec laquelle les Occidentaux massacrent les cochons pour obtenir de la viande (parfaite introduction pour le film qui suit dans cette liste).

Si les témoignages sont vraisemblablement sincères, le ton des questions est quelque peu directif et amateur, ce qui a tendance à ruiner l’objectivité du projet. Aucun témoin n’ayant pu être filmé, le film n’apporte pas grand-chose visuellement, à part quelques images volées de la Corée du Nord et certains effets numériques hypnotisants et déstabilisants. Au final, The Fantastic est un beau projet qui aurait mérité un traitement plus rigoureux, voire une adaptation sous forme de fiction.

Gunda

Oh ! L’humanité !!

Suite au discours antispéciste inspiré de Joaquin Phoenix à la cérémonie des Oscars 2020, le cinéaste russe Viktor Kosakovskiy a été poussé par tous ses amis à entrer en contact avec lui (« tu nous prends la tête toute l’année avec ton militantisme pro-animal, eh bien tiens, voici quelqu’un qui parle exactement comme toi ! »), afin de discuter de son projet. Immédiatement séduit par l’idée, Phoenix a accepté de produire la petite merveille que nous avons eu la chance de voir après son passage acclamé dans une trentaine de festivals mondiaux.

Guna est une maman truie (créditée comme l’unique actrice du film sur imdb) dont on suit le paisible quotidien dans un sublime noir et blanc alors qu’elle vaque à ses occupations dans un joli havre de paix en pleine nature pendant 93 minutes. Pas une parole n’est prononcée, aucun artifice ne vient surligner une scène en particulier si ce n’est bien évidemment le montage qui choisit de nous montrer des moments espiègles où ses nombreux petits jouent entre eux, découvrent le monde et la harcèlent pour boire son lait. Sans repères ni introduction, le spectateur attendri ou émerveillé par ces images d’amour et de paix se dit qu’il doit s’agir d’un refuge pour anciens animaux d’élevage, impression confirmée par l’arrivée occasionnelle de vaches hébétées trop heureuses d’enfin pouvoir courir dans l’herbe ou de poules en piteux état qui semblent sortir de prison après une longue peine. On est alors en confiance, sereins, à peu près sûrs que l’on ne va pas assister à des égorgements ou autres démembrements comme il est coutume de voir dans les vidéos d’abattoirs, et l’on se laisse porter par cette lente et calme respiration, cette ode à la vie sur Terre qui n’a pas encore été -ou n’est plus- polluée par l’intervention de l’homme. Cette famille qui vit sans se soucier de la caméra pourrait aussi bien être composée d’une chienne et ses chiots, les attitudes étant similaires, ou pourquoi pas d’une femme et ses enfants, car l’instinct maternel n’a pas de frontières interspécifiques.

Gunda © Sant & Usant, V. Kossakovsky, Egil H. Larsen

Et puis, sans que l’on s’y attende, vient la scène finale. La bande-son, jusqu’alors constituée de chants d’oiseaux, de grognements et du son des petites pattes dans l’herbe, fait alors entendre un lointain bruit de moteur, première référence à la présence de l’homme. Le bruit enfle jusqu’à couvrir les autres sons et l’image est envahie par une énorme caisse, plaquée par un tracteur contre l’entrée de la cabane des cochons. On ne voit rien d’autre mais on entend que ça s’agite à l’intérieur, et puis la caisse repart et le son se fond lentement dans la distance. Gunda sort de la cabane, visiblement troublée. Cette fois, elle n’est pas suivie par la ribambelle de petits. Cette fois, il n’y a plus que le silence.

La suite est difficilement soutenable pour qui possède un cœur en état de marche. Gunda court un instant derrière la machine, se ravise, se remet en route, revient. Elle tourne en rond, ses mamelles gorgées de lait se balançant sous elle, désormais inutiles. On lui a pris sa raison d’être et tout s’est effondré en une seconde. Ici encore, le parallèle avec d’autres espèces animales se fait sans effort, et il n’y a pas besoin d’avoir recours à l’anthropomorphisme pour comprendre ce qui est en train de se dérouler dans sa tête et dans ses tripes. Alors, à cours d’options, Gunda se tourne vers l’objectif pour la toute première fois, et nous jette un regard interrogateur qui dure une éternité. Peut-être essaye-t-elle de demander de l’aide à l’opérateur de la caméra, son dernier recours. Mais puisqu’il s’agit de cinéma, c’est nous, les spectateurs, qui nous prenons ce déchirant « pourquoi ? » en pleine face.

C’est du vrai cinéma, et si vous en doutez, regardez ce qu’en disent l’acteur Joaquin Phoenix et l’immense cinéaste Paul Thomas Anderson qui vous convaincront mieux que nous.

Le film a été suivi d’un passionnant débat modéré par Nicolas Léonard entre le Dr. Bérit Majeres, Brigitte Gothière de L214 et Camille Brunel, qui a laissé entrevoir une possibilité d’avenir plus clément et que l’on peut revoir sur YouTube.

Made in/with Luxembourg:

Bad Luck Banging or Loony Porn

Il a été annoncé en début de festival que ce film venait tout juste de recevoir l’Ours d’Or à la dernière Berlinale, ce qui n’a fait qu’attiser notre envie de le découvrir. Nous n’étions pas prêts pour cette expérience baroque assez inédite et forcément inoubliable.

Le film se découpe en trois parties distinctes, très différentes les unes des autres et ponctuées par de très esthétiques cartons accompagnés d’une chanson de Bobby Lapointe.

1ère partie

Le film s’ouvre sur une déconcertante séquence de porno amateur, assez longue et explicite pour susciter la gêne (nous l’avons vu en ligne mais pouvons imaginer l’ambiance dans les salles). Rien de répréhensible à priori, puisqu’il s’agit d’une vidéo privée tournée par un couple qui s’aime et qui s’amuse. Sauf que l’ordinateur sur lequel la séquence était enregistrée part en réparation chez des gens peu scrupuleux qui uploadent le film sur un site spécialisé, et que ce dernier est vu par les élèves d’un collège. Il faut préciser que la protagoniste est prof dans ce collège et que les ados sortent choqués de l’expérience, en tout cas d’après leurs parents.

Ce segment est assez curieusement filmé, dans un style quasi-amateur. La caméra suit la progression d’Emilia -la prof- dans Bucarest alors qu’elle vaque à ses occupations et apprend peu à peu l’ampleur du désastre de la vidéo fuitée. On y voit une ville sale, parfois en ruines, peuplée, en pleine pandémie, d’individus occasionnellement masqués, souvent désagréables, de beaufs ultimes en 4×4 qui se garent au milieu de passages cloutés ou sur des trottoirs, empêchant le passage des piétons et devenant menaçants si on leur fait remarquer (un comportement qui n’affecte malheureusement pas que la Roumanie et qui traduit bien l’époque dans laquelle nous évoluons). Curieusement, la caméra se permet régulièrement des petits panoramiques en fin de séquence pour insister sur un détail trivial plutôt que d’avoir recours au cut, ce qui renforce l’impression d’amateurisme forcément volontaire mais définitivement déstabilisante.

2ème partie

Rien à voir avec ce qui précède : toujours introduit par Lapointe, ce segment est consacré à des aphorismes, statistiques et infos du type « le saviez-vous ? » qui ne manquent pas de captiver. On n’est plus vraiment dans la fiction mais cela importe peu : on est là pour vivre une expérience cinématographique et le cinéaste Radu Jude est roi en son domaine. Nous retiendrons notamment cette belle analyse du mythe de la gorgone Méduse à laquelle la troisième partie fera écho : si Persée réussit à vaincre celle dont le regard change tout humain en pierre, c’est qu’il l’a affrontée en guettant son reflet dans son bouclier poli. En d’autres termes, quand une réalité est trop horrible pour être supportée, à tel point qu’elle nous tétanise quand on se retrouve face à elle, on peut l’attaquer par des moyens détournés en choisissant son reflet, son illustration. Cela peut être galvaudé, avec le choix d’un bouc émissaire qui cristallisera nos angoisses, mais cela peut également être sublimé, notamment par l’art, et évidemment le cinéma.

3ème partie

C’est la partie qui ressemble le plus à un film traditionnel maîtrisé, comme si les trois segments avaient été réalisés par différents auteurs. De la composition à l’éclairage, de la mise en scène à la distribution, tout ici est propre et efficace, dans une contradiction totale avec ce qui se joue à l’écran. On y assiste en effet à une sorte de procès en sorcellerie où les juges sont les divers parents d’élèves et la directrice de l’école, et l’accusée, notre pauvre Emilia qui n’a rien demandé à personne. Il en va de son poste et l’accusation est impitoyable, à peine nuancée par l’intervention de certains participants plus compréhensifs. L’opprobre est jeté sur l’héroïne par une foule socialement distanciée dont les masques sont décorés de diverses expressions, figurant tantôt le dégoût, tantôt l’amusement. Elle se débat tant bien que mal et on est forcément de son côté ; d’abord parce que les représentants auto-proclamés de la morale sont abominablement misogynes et vulgaires et ne sont pas loin d’évoquer les interrogatoires de la Stasi, et surtout parce qu’elle n’est évidemment pas responsable de la fuite d’une vidéo privée. On y voit un ancien militaire toujours en uniforme qui s’accroche à des valeurs dépassées, un gentil timbré qui fait l’oiseau, des mères de famille outrées qui vont jusqu’à critiquer les pratiques sexuelles vues dans la vidéo (« seules les prostituées font [ceci ou cela] »), un homme habillé en femme, et tous sont fascinés par la vidéo qui est présentée comme pièce à conviction, allant jusqu’à s’approcher avec un air lubrique très près de la tablette qui la diffuse.

Au final, on nous propose trois fins possibles, une positive, une plus dramatique et une totalement barrée mais fondamentalement iconoclaste et salvatrice. Nous vous invitons à les découvrir vous-mêmes, car certains films méritent plus de respect qu’un vulgaire spoiler.

Documentaire:

The Mole Agent

Nous terminerons avec cet excellent documentaire tour à tour drôle et touchant qui pourrait à lui seul justifier le titre de cet article. Le principe : un détective privé est chargé d’enquêter sur les traitements possiblement abusifs que subit l’une des pensionnaires d’un EHPAD au Chili. Afin de passer inaperçu, il recrute une taupe après un tendrement drôle casting d’octogénaires. Ça sera Sergio, le plus débrouillard de la bande, qui sera « faussement » admis dans l’établissement et dont la présence justifiera les caméras auprès du personnel (on fait croire à un reportage sur un nouvel arrivant). Sergio est équipé d’un smartphone dont il a quelques difficultés à se servir et de lunettes d’espion dissimulant une caméra, et va devoir quitter sa famille aimante pour quelques semaines afin de découvrir ce qui se passe réellement dans cette maison de retraite.

La cible étant initialement difficile à repérer -on lui a montré des photos mais il trouve que toutes les vieilles femmes ont la même tête, Sergio s’intègre naturellement à la faune locale et devient rapidement très populaire. Il faut dire qu’il est élégant, a de bonnes manières, porte bien, et qu’il y a très peu de représentants du genre masculin dans l’EHPAD. Ainsi, il va devoir repousser les avances et briser le cœur d’une petite dame folle d’amour pour ce Roméo providentiel, lui qui pleure encore sa femme récemment disparue. Sergio prend sa mission très au sérieux et envoie régulièrement des rapports très complets à son employeur. Complets, peut-être, mais à côté de la plaque, ce qui agace le détective qui perd souvent patience et nous fait mal au cœur quand il le sermonne.

The Mole Agent © Pablos Valdés, Micromundo

Au fil de l’enquête, nous découvrons une galerie de personnages profondément attachants, certains pleins de joie de vivre et d’humour malicieux, d’autres tristes et renfermés d’avoir été ainsi abandonnés de tous (Sergio se plie en quatre pour dégoter des photos des proches d’une mamie terriblement seule, et quand elle voit enfin cet ersatz de présence, ses yeux émus nous transpercent l’âme), d’autres encore perdant inexorablement la boule ou étant atteints de cleptomanie.

Au final, (attention, sautez ce paragraphe si vous ne voulez pas connaître la fin), Sergio s’avère bien plus malin que ce que son employeur pense de lui et conclut son enquête sur une déclaration inattendue : La patiente cible est très bien traitée, comme tous les autres pensionnaires, et si elle semble être dans un triste état mental et physique, c’est peut-être dû au fait que sa fille ne vient jamais lui rendre visite et préfère engager des détectives pour se donner bonne conscience.

Il y a presque un regard de documentariste animalier dans ce film, et ceci est dit avec tout le respect possible pour ces femmes et ces hommes à la belle humanité. Car une fois les codes sociaux abattus par la sénilité, Alzheimer ou la simple lassitude, les attitudes de ces gens touchent à l’essentiel, sans calcul, sans considération pour l’image que l’on projette, et ces gestes, ces regards sont infiniment beaux.

Oh, l’humanité !

Ce film, qui mériterait une adaptation en long-métrage de fiction (à bon entendeur…) est en lice pour les Oscars 2021 dans la catégorie « meilleur documentaire ».

Une très belle édition du festival en somme, qui nous a également proposé une très intéressante Masterclass du géant du cinéma William Friedkin, que l’on peut retrouver intégralement sur YouTube : Masterclass William Friedkin, ainsi qu’un prix d’honneur remis à l’excellent Terry Gilliam, qui a promis de venir nous voir quand la situation le permettra. En attendant, sa réception du prix, joliment référencée pour ceux qui connaissent les Monty Python.

On attend impatiemment la sélection du 12e LuxFilmFest, qui se déroulera du 3 au 13 mars 2022 !