Rokia Traoré à la Philharmonie

Par Nicolas Margot, le 20.03.2019

Rokia Traoré fait de la musique comme d’autres font de la politique: de manière militante. A travers son œuvre, elle nous invite à découvrir les traditions orales du Mali, les maîtres de la musique mandingue, les griots, les chants bambara et les artistes actuels de son pays d’origine.

Née dans la banlieue de Bamako en 1974, Rokia Traoré verra son enfance rythmée par les départs pour l’ailleurs. La carrière de son père, diplomate, la mène en Belgique, en France, en Algérie et en Arabie Saoudite. Elle grandira donc avec différents peuples et leurs cultures. Sa solitude, maintes fois recréée par ces départs, la décidera à se construire un univers propre: sa musique.

Aujourd’hui, elle partage le riche héritage qui est le sien et nous donne à goûter les gourmandises musicales de son enfance, les saveurs de ces « madeleines » qui l’ont accompagnée et l’accompagnent encore.

Dans le Grand Auditorium de la Philharmonie Luxembourg, elle se tient d’abord en retrait, laissant les artistes qui l’accompagnent occuper tour à tour le devant de la scène et donner à entendre leur voix si chaleureuse accompagnée par les instruments traditionnels (kora, ganbere, gita) et modernes (guitare acoustique, cajon et basse).

Rokia Traoré (c) Sébastien Grébille

Leur pudeur nous touche. Le public tout entier est attentif à la richesse de ces harmonies si rarement jouées sous nos latitudes septentrionales. Les femmes sont pieds nus sur la scène. Elles portent de grandes robes aux motifs floraux ou géométriques dont les couleurs entre l’oranger, le brun et l’émeraude, s’agitent doucement au son de leurs mélodies.

Et si certains dialectes dans lesquels ces chants sont interprétés nous demeurent hermétiques, les émotions qu’ils transmettent, elles, nous sont parfaitement intelligibles.

Les rythmes se transmettent peu à peu au corps des spectateurs. Les pieds, les mains et les têtes s’animent en cadence dans la salle très feutrée et intimidante. Le concert touche à sa fin lorsque communient enfin les énergies de la scène et du public. Tout le monde se lève et danse entre les lourdes rangées de sièges. Un très jeune enfant grimpe sur les épaules de son père au premier rang. Il veut lui aussi profiter autant que possible de ce moment rare et danse, ainsi juché, avec la touchante maladresse de sa sincérité.

Un dernier hommage est rendu, avant le départ, à Bako Dagnon (1953-2015), figure mythique de la musique malienne. Consciente de sa propre finitude, elle avait heureusement transmis à Rokia Traoré quelques-uns de ses secrets de griote, avant de disparaître, permettant ainsi de continuer à faire vivre cette tradition orale millénaire.

Un bref silence se fait, et le public, ému et reconnaissant, accompagne le départ des artistes par un véritable tonnerre d’applaudissements.

Cette soirée était la seule de la saison en compagnie de Rokia Traoré dans la Grande Région. Ses prochains concerts auront lieu à Marseille et Brighton. En attendant de (re)croiser son chemin, nous nous immergerons dans quelques-uns de ses titres et profiterons encore un peu de la belle programmation de la Philharmonie avant la fin de sa saison 2019.