Une voix d’ange chante les démons de l’âme humaine

par Nicolas Margot le 20.01.2020

Lundi soir glacial. A l’extérieur, un ciel constellé d’étoiles ; à l’intérieur, la salle de musique de chambre de la Philharmonie du Luxembourg est comble. Et pour cause, l’écrin des amoureux de musique classique accueille ce soir l’un des plus talentueux chanteurs lyriques de notre époque : Philippe Jaroussky.

Ce contre-ténor français, qui envoûte ses auditeurs depuis désormais plus de vingt ans, se lance ce soir un nouveau défi : articuler une sélection de « lieder » [NDLR: chants en allemand] en un concert ayant une véritable cohérence d’ensemble.

Le défi est de taille car ces poèmes des plus grands dramaturges germanophones, mis en musique deux siècles plus tôt par Franz Schubert (1797-1828), ont été composés à des époques très différentes de la courte vie du compositeur autrichien.

Le jeune adolescent viennois cherchait, alors, à concurrencer le succès des compositeurs romantiques italiens. Pour ce faire, il travailla à mettre en valeur le patrimoine littéraire de langue allemande, en relisant les œuvres de Schiller et de Goethe, notamment. Habité par leurs poèmes, il y reconnaît ses propres vicissitudes, y retrouve l’expression précise de ses sentiments les plus joyeux comme les plus sombres. Entre 1811 et 1828, il compose ainsi quelques 634 lieder, dont 143 durant la seule année de ses 18 ans.

Et c’est en sélectionnant une vingtaine de ces créations dans cette constellation immense d’œuvres laissée par Schubert, que Philippe Jaroussky et le pianiste et compositeur Jérôme Ducros, ont construit le concert de ce soir. Si l’exercice est ardu, le duo d’artistes le réussit haut la main. Ici, comme dans l’esprit de Schubert, la musique est au service des textes chantés.

Le contre-ténor, à la voix sublime, nous fait toucher du doigt les limites du langage. Comment décrire le sentiment d’enveloppement, doux, quasi maternel, qu’exerce sa voix sur les âmes des spectateurs. Ce moment où chacun ferme les yeux pour concentrer l’essentiel de son énergie vitale sur cette voix d’ange. Les autres sens se coupent, inutiles. Chaque spectateur cherche à cueillir ce fruit délicieux pour à la fois le savourer et espérer, un peu naïvement peut-être, pouvoir en conserver toute la beauté dans les tréfonds de son âme pour le restant de ses jours. Mais, il est des beautés de la nature, qui nous demeurent insaisissables, sensibles dans le présent, mais intransmissibles, impossibles à conserver car les technologies de notre époque n’en reconstituent que de pâles copies. Et, c’est dans ces instants que l’on conçoit pleinement combien le moment du concert demeure un moment clé de transmission d’une œuvre, d’une capacité d’interprétation indicible, autrement qu’en la partageant dans le présent.

Véritable régale, ce concert se termine après deux parties de quarante minutes entrecoupées d’un entre-acte. Les spectateurs applaudissent généreusement les deux artistes puis ressortent contempler le ciel pur de cette nuit d’hiver avec au cœur de nouvelles étoiles.