Which witch?

par Erwin S.

On n’a qu’un jour pour couvrir le festival, et pas mal de séances sont déjà complètes, même pour la presse. Du coup on ne pourra pas forcément voir ce qui nous fait vraiment envie, ou ce qui a déjà commencé à faire le buzz. Notre première projection du jour sera donc The Witch : Part 1. The Subversion.

La séance a lieu à l’Espace Lac, dans la grande salle où se jouent les événements-clés comme les cérémonies d’ouverture et de clôture et les projections pour les jurés. Depuis notre dernière visite, des codes se sont installés, preuve en est l’attitude du public d’habitués devant le jingle d’ouverture de chaque projection ; se succèdent alors à l’écran les visages en pseudo-3D des figures mythiques du cinéma d’épouvante comme Boris Karloff en créature de Frankenstein, l’étrange Créature du Lac Noir, et surtout le Wolfman de Lon Chaney, systématiquement accueilli par des hurlements de loups hilares. Pas la suite, un quidam appelle l’assemblée d’un énigmatique « Spartiate ! » auquel la salle répond encore par des cris. On ne comprend pas, mais l’ambiance est bon-enfant.

La bande-annonce ne nous avait pas trop donné envie, certes, mais le réal Park Hoon-jung s’est donné la peine de venir jusqu’à Gérardmer pour présenter son film ; le moins que nous puissions faire était de lui consacrer deux heures et six minutes, et puis de donner notre avis pour le prix du public, en notre âme et conscience, en quittant la salle. Et puis, le cinéma coréen est en pleine forme et nous gratifie régulièrement de petits chefs-d’œuvre, voire d’immenses chefs-d’œuvre dans certains cas. On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.

Bon, là il s’est avéré qu’on était franchement à l’abri, parce qu’on n’a pas vraiment adoré, pour employer un euphémisme.

Dans le dossier de presse, l’intrigue est ainsi résumée :

Dix ans auparavant, la jeune Ja-yoon s’est échappée d’un complexe gouvernemental à la suite d’un incident qu’elle a provoqué sans le vouloir et qui lui a fait perdre la mémoire. Elle a trouvé refuge auprès d’un couple âgé qui la considère comme leur propre fille. Devenue une brillante lycéenne, elle décide de passer un concours de chant retransmis à la télévision nationale. Elle est ainsi repérée par des personnes à l’allure étrange qui la recherchent depuis sa disparition. En un instant, la vie apparemment ordinaire de Ja-yoon devient beaucoup moins paisible…

On se doute assez vite qu’on ne va pas avoir affaire à Citizen Kane. A vrai dire, l’histoire est tellement banale et stupide qu’elle donne envie de faire des fautes d’orthographe (nous nous en abstiendrons cependant, dans la mesure du possible). C’est donc l’histoire de la petite Eleven Ja-yoon, qui est poursuivie dans les bois par des adultes méchants qui essayent de la tuer. Elle se cache chez un couple de paysans puis grandit mine de rien. Un jour, Nikita Ja-yoon décide de faire The Voice parce qu’elle tient beaucoup à sa liberté de penser. Comme elle gagne, elle ne peut pas s’empêcher de faire sa petite maline en direct à la télé et fait léviter Claudia Schiffer, ce qui attire l’attention des méchants –qui sont très fans de The Voice– mais comment aurait-elle pu savoir, vu qu’elle a perdu la mémoire? On lui envoie alors un minet membre d’un boys band de K-pop pour la faire pleurer dans un train, sous le regard enamouré de sa meilleure copine qui a un gros bigoudi sur le front. La vie de Samantha « Charly » Caine Ja-yoon va alors basculer dans un maelström de bagarres et de coups bas alors qu’elle (attention, ça va divulgâcher) retrouve d’un coup ses compétences extraordinaires de personnage de jeu vidéo qu’elle avait enfouies. Or had she ?…

Plus qu’un jeu vidéo, le film donne l’impression constante d’être devant un anime japonais bas de gamme, sauf qu’à la place de dessins, on voit des vrais gens. Tout cela est plutôt bien réalisé, bénéficie d’une jolie direction artistique et d’une photographie réussie. Lucy Ja-yoon nous réserve un twist plutôt pas mal et nous offre des scènes d’action très impressionnantes, devant lesquelles il est difficile de ne pas esquisser un sourire de satisfaction. Cependant, rien de tout cela ne peut compenser l’abyssale vacuité d’un scénario de CM2 qui synthétise tous les fantasmes adolescents du genre « tu ne payes pas de mine mais tu es l’élue », ou « tu n’as l’air de rien mais en vrai tu as des super pouvoirs », voire « je suis encore petite mais un jour je serai une Rolls Royce ». On y entend même la phrase complotiste éculée « nous n’utilisons pas 100% de nos facultés cérébrales », ce qui est vrai pour le scénariste de ce film, mais pas pour l’humanité en général. Nous ne parlerons même pas de l’interminable et redondante scène explicative qui nous re-raconte ad nauseam tout ce qu’on a vu (et très clairement compris) depuis le début du film, comme pour remplir le métrage. Chose absurde, car ce dernier est du coup nettement trop long et nous a fait louper la deuxième séance qui nous faisait drôlement envie. Proposons un titre pour la suite : The Witch : Part 2. Merci, sans moi.

En 2015, Robert Eggers avait réalisé un autre The Witch, qui traitait lui de façon réaliste et franchement angoissante de phénomènes de sorcellerie dans l’Amérique puritaine du XVIIe siècle. C’était brillamment foutu sans chercher à impressionner, ça se basait sur des légendes et des mythes sur la démonologie et la chasse aux sorcières de la Nouvelle Angleterre et il n’y avait aucune allusion à Florent Pagny. Si vous vous demandez quelle Witch il faut voir, je conseillerais plutôt cette version.