Le Dieu du Carnage triomphe dès la première

Théâtre National du Luxembourg, le 14.03.2019 par Nicolas Margot

Dieu qu’il est rafraîchissant de voir tant d’énergies et de talents au service d’une œuvre que l’on aime. En ce soir de mi-mars, deux comédiennes, Valérie Bodson et Jeanne Werner, tiennent en haleine leurs comparses masculins, Serge Wolf et François Camus. Après une présentation de la pièce Le Dieu du Carnage (2008) de Yasmina Reza (née en 1959 à Paris de parents irano-russe et hongrois) par Betty Belais, la troupe a su emporter le public dans ce crescendo inexorable de la dispute vers le paroxysme de la folie.

L’histoire, comme souvent chez Yasmina Reza, est parfaitement anecdotique: deux couples de parents, bourgeois, se retrouvent après que l’enfant de l’un ait cassé deux incisives à l’enfant de l’autre en jouant au parc. Rien de bien intéressant nous direz-vous? Eh bien détrompez-vous car c’est toute la force des pièces de Yasmina Reza que de faire surgir le tragique, les observations nettes de nos travers, de nos paradoxes, l’irrésistible comique de nos faiblesses humaines via des histoires banales.

Une fois encore, la dramaturge parisienne parvient à délivrer un regard acéré sur nous et nos contemporains. Son œil de sociologue n’est jamais dupe face aux conventions sociales. Elle sait parfaitement écailler ce vernis, morceau par morceau, pour faire rejaillir l’humanité complexe qu’il voudrait recouvrir. Et le public prend un malin plaisir à faire tomber avec elle le masque bourgeois qui voudrait éteindre les pulsions animales qu’il recouvre, les émotions intenses qu’il cherche à maquiller en petites phrases polies et en une bienséance corsetée qui étouffe souvent les protagonistes.

Cette mise en scène soignée, signée Frank Hoffmann, mérite d’être vue pour en ressentir toutes les nuances, les saveurs acides et les sonorités imparfaites d’une humanité qui voudrait être conforme à sa pensée et non à ses complexités et à ses paradoxes qu’elle peine elle-même à saisir. Les entrelacs de l’œuvre, du jeu, des décors, costumes, lumières, musiques et de la mise en scène vous emporteront pour une heure et demie d’un théâtre rafraîchissant et une terrible dispute aux effets cathartiques. L’accueil du public a été à la hauteur de cette première représentation au Théâtre National du Luxembourg: triomphal, à juste titre.

Le Dieu du carnage (c) TNL
à voir les:
20, 21, 22 mars, 20h00
17 mars, 17h00
4, 5, 6 avril, 20h00
7 avril, 17h00

Pour profiter de l’une des représentations du Dieu du carnage données au TNL, prenez vite vos billets par ici!

Si vous n’avez pas la chance de décrocher votre ticket pour ce spectacle, consolez-vous: le programme du TNL est encore très riche d’ici la fin de cette saison 2019, avec des œuvres en français, en anglais, en allemand et en italien.

Enfin, pour ceux qui souhaitent découvrir l’œuvre de Yasmina Reza, on ne peut que vous recommander de commencer par Art, pièce qui lui valut deux Molières et un Tony Award, traduite dans trente cinq langues et qui est aujourd’hui l’œuvre dramatique française contemporaine la plus jouée dans le monde. La mise en scène de Patrice Kerbrat avec Fabrice Luchini, Pierre Vaneck et Pierre Arditi (1994) demeure un classique parmi les classiques, dont nous ne nous sommes jamais lassés et que nous ne pouvons que vous recommander !